Taxez plus? Non, taxer autrement!
Publié par RJF-FAN
Le gouvernement fédéral devra, dit-on, trouver 25 milliards € d’ici à 2015 pour combler le déficit public. Selon le Réseau pour la justice fiscale, ce n’est pas la voie de la réduction des dépenses sociales qu’il faut poursuivre, c’est celle de la meilleure répartition de la pression fiscale voire de l’augmentation ciblée des recettes fiscales. Nous ne voulons pas que les petits et moyens revenus paient une deuxième fois la crise. La rigueur compromettrait d’ailleurs une reprise économique et donc l’emploi.

 

Ce choix d'une autre fiscalité est justifié par le fait qu'actuellement, l'impôt, sous ses diverses formes, n'est pas vraiment progressif. Il défavorise bas et moyens revenus ; mais il accorde divers privilèges à ceux qui disposent de patrimoines ou de hauts revenus.

Plusieurs mécanismes en attestent.

Alors que l'imposition commence relativement tôt (de très petits revenus sont déjà taxés à 25%), deux réformes fiscales successives (dans les années 80 et la réforme Reynders de 2002) ont supprimé 5 tranches supérieures de l'impôt des personnes physiques (passant de 62,5% à 50%). Cela signifie que la taxation finit proportionnellement vite pour ceux qui ont pu profiter des exubérances financières de ces dernières années.

En Belgique, ce phénomène a été renforcé par la fin de la globalisation des revenus en 1982. Depuis cette date en effet, la taxation ne porte plus sur l'ensemble des revenus (c'est-à-dire sur la somme des revenus du travail + immobilier+ capitaux). Les revenus de capitaux (obligations, actions, SICAV...) sont taxés forfaitairement et de manière distincte (précompte libératoire), alors que la sphère financière créée par des politiques de dérégulation néolibérale accorde de plantureux bénéfices aux actionnaires et aux spéculateurs.

A ces avantages, qui privilégient les détenteurs de capitaux par rapport à ceux qui vivent de leur travail ou d'allocations sociales, il faut ajouter quelques spécificités fiscales propres à la Belgique.

*Il n'y a pas de taxe sur les plus-values de capitaux (seuls le Luxembourg et la Suisse sont également dans ce cas),

* Il n'y a pas non plus de centrale d'informations bancaires ouverte à l'administration fiscale et permettant un accès rapide aux comptes bancaires, comme par exemple en France avec le fichier FICOBA. Le secret bancaire réel (interdiction de transfert d'informations, sauf succession ou cas de suspicion grave) est trop facilement assimilé à l'obligation de « discrétion » dont tout employé est évidemment redevable. Obligation d'ailleurs reconnue par les autorités belges. En effet, c'est en conformité avec cette réalité que la Belgique permet via la centrale des crédits aux particuliers que les employés des institutions bancaires puissent consulter l'état d'endettement de leurs clients avant l'octroi de tout nouveau prêt. L'objectif derrière cette autorisation étant la lutte contre le surendettement, la lutte contre la fraude fiscale est-elle un moins noble objectif ? Et les agents de l'administration fiscale sont-ils moins fiables en termes de respect du secret professionnel que le personnel bancaire ?

Ce secret entretient l'opacité financière. Il favorise la fraude sociale et fiscale, estimée entre 20 et 30 milliards €. Cette fraude a été mise en évidence par une récente Commission parlementaire qui a formulé 108 recommandations, et dont la mise en application est attendue avec impatience. Le secret bancaire entretient aussi l'évasion fiscale en direction des « trous noirs » de la finance (paradis fiscaux), très nombreux en Europe...

* la persistance de ce secret bancaire fiscal constitue un frein essentiel pour un meilleur contrôle des revenus imposables, mais également pour le recouvrement efficace de tous les impôts et autres taxes tant à l'échelle fédérale que pour les autres niveaux de pouvoirs. Cette dernière dimension a pour effet que même quand l'administration fiscale arrive à découvrir une fraude fiscale, elle n'arrive pas toujours à faire payer l'impôt dû, notamment à cause de la non-connaissance des comptes bancaires des contribuables. Par analogie, nous sommes confrontés à une situation où un juge condamnerait une personne, mais faute de moyen le condamné n'est pas poursuivi et la peine n'est jamais appliquée.

* Il n'existe pas d'impôt sur la fortune ou sur les patrimoines. Les détenteurs de richesses échappent à l'impôt de manière disproportionnée par rapport à l'ampleur de leur patrimoine et revenus. En Belgique, malgré l'existence du secret bancaire, on peut avancer les chiffres de 72.000 millionnaires en dollars[1] et de 717 milliards d'euros en patrimoines des particuliers (financier liquide et disponible), soit malgré la crise, une fortune moyenne par habitant adulte de 150.000 € ... Ce chiffre est à mettre en parallèle avec celui du nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté : 15 % de la population, soit une personne sur sept !

* Ajoutons à tous ces avantages les intérêts notionnels et autres rabais d'impôts dont bénéficient les plus grosses entreprises cotées en Bourse qui ne paient pratiquement pas d'impôt sur leurs bénéfices, pour le plus grand bonheur de leurs actionnaires. Fait révélateur : nous constatons aujourd'hui que des pays qui ont fortement abaissé l'impôt des sociétés au cours de la période récente se trouvent aujourd'hui confrontés à un emballement de leur dette : la Grèce et l'Irlande notamment.

Tout ceci fait que l'on peut parler de la Belgique comme d'un îlot fiscal ou plus simplement un paradis fiscal !

L'accentuation de la lutte réelle contre la fraude fiscale (par le renforcement en moyens humains et technologiques du Service Public Fédéral Finances au moment où les nombreux départs à la retraite vident carrément de nombreux services[2]), le recouvrement correct des dettes fiscales dont l'arriéré est trop important et l'accroissement de la fiscalité des hauts revenus des particuliers et des sociétés sont des conditions indispensables pour sortir de la crise. Cela permettrait certainement à la fois de réduire la dette publique, de fournir à l'Etat des moyens de créer des emplois publics et de soutenir les revenus les plus faibles

C'est pourquoi le Réseau pour la Justice Fiscale et Financieel Actie Netwerk (60 organisations de développement, d'éducation permanente, de lutte contre la pauvreté et syndicales), présentent leurs exigences au travers d'une campagne « Ne laissez pas échapper les grosses fortunes ». Il ne s'agit pas de taxer plus, il s'agit de taxer autrement. Et en tout cas, pas ceux qui vivent seulement grâce à leur travail ou à des allocations sociales. Un site a été créé à cet effet (www.lesgrossesfortunes.be). Il reprend les principaux éléments de cette campagne pour un impôt juste, redistributif et ouvert sur une société développée et démocratique. Diverses manifestations et initiatives d'associations et mouvements sociaux importants appuient le lancement de cette campagne tant au Nord qu'au Sud du pays. L'austérité n'est pas une fatalité... des alternatives fiscales existent.

Eric GOEMAN Daniel PUISSANT

Coordinateur du FAN Secrétaire du R.J.F.

[1] De plus d'un million $ disponible hors restant du patrimoine

[2] La commission d'enquête parlementaire sur les grands dossiers de fraude fiscale préconisait notamment dans son rapport adopté en mai 2009 par tous les partis démocratiques : d'augmenter les moyens et le nombre de fonctionnaires mis à la disposition de l'Inspection Spéciale des Impôts et de revaloriser le statut des agents affectés à la lutte contre la fraude fiscale.